Extraits du livre “La Belle Gigue” de Thierry Coljon paru aux Éditions Luc Pire en 2001.
Marc Morgan vous veut du bien.
[…] Encore un, comme Louka, Hustin, Bialek, Lafontaine…, qui était dans le graphisme et les Beaux-Arts avant de passer à la chanson. Mais Marc Wathieu, Morgan pour les intimes, n’oublie pas ses talents de graphiste et s’en sert quand il veut présenter à une firme de disques parisienne ses nouvelles chansons. Il les emballe dans une jolie boîte et cela lui permet d’attirer l’attention de directeurs artistiques croulant sous les cassettes. C’est comme ça que Philippe Poustis tombe sous le charme de ses chansons et parvient à le faire signer chez Fnac Music où le directeur artistique Yves Bigot, ex-journaliste à Libération et futur directeur des variétés de France Télévision, met les bouchées doubles pour imposer l’album “Un cygne sur l’Orénoque” paru en 1993.
Des titres comme “Notre mystère, nos retrouvailles” ou “Un ami qui vous veut du bien” passeront bien en radio. Les ventes seront malheureusement freinées par la faillite de Fnac Music. Quand Yves Bigot passe avec armes et bagages chez Mercury, un des labels les plus en vue de Polygram (aujourd’hui Universal), il prend Marc avec lui et sort en 1996 le deuxième album, “Les grands espaces” ; “Capable de tout” et “Au train où vont les choses” en sont les perles. L’éternel chasseur de belgitude notera la présence du “Bruxelles” de… Dick Annegarn :
Bruxelles. ma belle,
Je te rejoins bientôt
Aussitôt que Paris me trahit
Prémonitoire pour le Hollandais vivant à Bruxelles comme vingt-cinq ans plus tard pour le Belge vivant à Huy, cette superbe chanson d’amour à la capitale belge, Marc la chante parce qu’il la trouve belle et qu’il ne s’imagine pas chanter une chanson intitulée “Huy”. Il ignorait à l’époque que d’anciens partenaires des Révérends du Prince Albert et des Tricheurs (Alain Pire et Sergio Taronna) se retrouveront au sein d’un groupe dénommé Huy. Un Huy où le guitariste Kurt Fontaine, ex-Vincent Van Gogh, fit un bref passage avant de rejoindre sur scène la Variété que formeront Rudy Léonet, Bernard Dobbeleer et Alain Debaisieux, les compositions et les guitares étant dues à Marc Morgan.
Passant son temps en d’incessants Paris-Bruxelles, Marc refusant de quitter son Huy natal, a préféré chanter Annegarn plutôt que “de chanter bêtement ma belgitude, dit-il. Les Français, à la limite, ça les étonne déjà qu’on parle français, alors j’allais pas leur parler de Huy”. Bigot est à ce point sûr du talent de son poulain qu’il le place entre Murat et Yves Simon pour que deux de ses chansons figurent sur le nouvel album de Sylvie Vartan. Celle-ci invite Marc sur le plateau de “Taratata”. Il n’y en a que pour Morgan qui est au zénith de sa popularité. La chute n’en sera que plus dure quand Yves Bigot est remercié par Pascal Nègre, le grand patron. Bigot parti, Morgan perd son soutien principal et n’a d’autre solution que d’accepter son bon de sortie : “Le successeur de Bigot s’occupait davantage de marketing. Aujourd’hui, si t’as pas un résultat immédiat – ce qui était mon cas – ta situation reste précaire.”
Début janvier 1999, Marc se retrouve déjà avec une quarantaine de chansons terminées mais plus de contrat discographique. Il refait ses petits paquets bien présentés pour les différentes firmes de disques françaises, sans passer par Bruxelles qui n’avait plus voulu de lui avant son aventure parisienne. “Les conditions de production sont meilleures à Paris. Je me mets la pression pour rencontrer les gens, c’est tout.”
À Huy, Marc peut malgré tout compter sur une vraie scène musicale. Aucune ville belge (exceptées Bruxelles et Anvers) n’a livré autant d’artistes. En ce moment, le vivier est tel que les salles Botanique à Bruxelles ou le Soundstation à Liège peuvent monter une soirée “Huy? Oui!” avec Marc Morgan, Crystal Palace (avec l’incontournable Sergio Taronna), Nietzsche, Hudson et beaucoup d’autres.
Au départ, à Huy, près de Liège, il n’y avait pas grand-chose mais il suffit de peu. De l’exemple d’un seul musicien par exemple (Alain Pire, bassiste des Flouze de Jo Lemaire avant qu’il ne fonde les Révérends du Prince Albert dont le modèle est Au Bonheur des Dames) ou d’un Atelier Rock, sorte de maison des jeunes plutôt dynamique.
“Voir ton voisin à la télévision, dans une émission comme “Génération 80″, ça te fait réfléchir.” Marc rejoint, avec Sergio, les Révérends du Prince Albert, sans grand enthousiasme, juste pour apprendre. Il formera ensuite Objectif Lune (entre graphisme et belgitude !) qui n’a rien donné, puis Marc et les Girafes qui sera rebaptisé Tricheurs au moment de signer avec Virgin Belgique. Les Tricheurs ne feront qu’un album mais les connexions françaises de leur leader suffiront pour stimuler une scène riche en artistes appréciant de travailler ensemble.
Marc est toujours en quête d’un contrat. Comme il n’est pas du genre à attendre en se croisant les bras, il se produit sur scène où il teste ses nouveaux titres et part faire de nouvelles maquettes dans le studio de Denis Clavaizolle, le partenaire musical de Jean-Louis Murat.
“C’est toi qui pousses la charrue et c’est à toi d’être lucide, perspicace, ambitieux et à t’encastrer correctement dans ce que l’industrie te propose”, concède Marc sans amertume. Il se rend bien compte qu’en France, il est resté au niveau de la promesse non tenue. Il n’a jamais eu de tube comparable au “Coeur de loup” de Lafontaine. “Je suis extrêmement touristique, rural finalement. Quand t’es un artisan, le matin quand tu te lèves, ça te renvoie à ton courage, à ta faculté de faire semblant de rien devant un paquet de connards (de firmes de disques) qui te pompent la vie. Tout est une question de caractère, des sacrifices que tu es prêt à faire dans ta vie.” Marc reconnaît qu’à la base, il est très naïf, qu’il vit de ses illusions mais sans cela, sans cette passion aveugle, tu changes de métier. Le libéralisme à tout crin adopté aujourd’hui par les grandes firmes de disques est incompatible avec la raison d’être d’un artiste. C’est à celui-ci à s’accrocher et à bien manoeuvrer pour faire la bonne rencontre qui décidera de la suite à donner à sa carrière… […]
Extrait du chapitre “La chanson émancipée”, in “La Belle Gigue – Petite histoire belge de la chanson française” par Thierry Coljon, pp. 68-70, Éditions Luc Pire, Bruxelles, 2001.
Marc Morgan.
Apparu avec les Tricheurs et un unique album paru en 1989 chez Virgin, Marc Wathieu, né à Huy en 1961, fut avant cela de l’aventure des Révérends du Prince Albert. L’accueil critique fort élogieux fait à “Tendez vos lèvres” incite Marc à tenter sa chance à Paris où il croise la route d’Yves Bigot qui le propulse sur Fnac Music d’abord, sur Mercury ensuite. Le premier album, sous le nom de Morgan simplement, contient des perles comme “Notre mystère, nos retrouvailles” et “Un ami qui vous veut du bien”. Amoureux, comme Jipé des Innocents, de belles mélodies rythmées comme une pop à la française, Marc Morgan n’a aucune peine à écrire pour d’autres. Ainsi Sylvie Vartan accepte-t-elle des chansons du chanteur au béret et à lunettes cerclées de noir. Tout va bien pour Marc qui compose des musiques pour La Variété, le groupe de Rudy Léonet de Radio 21, qui livrera un album chez Rosebud-Barclay (“Pour la gloire”, 1993). Ses chansons passent souvent à la radio mais les ventes ne suivent pas. Quand il perd son principal soutien chez Mercury (Bigot étant remercié), il se retrouve fort logiquement sans firme de disques. Ce qui ne l’empêche pas de composer de nouvelles chansons présentées sur scène. Pour le projet “Si ça nous chante”, sur des textes d’enfants, il compose l’excellent “Le héros c’est moi”. Il trouve en Jean-Louis Murat, dont il a souvent fait la première partie, et son complice Denis Clavaizolle, des amis et conseillers de choix, avec qui il travaille. On retrouve le nom de Marc Morgan sur l’album de 2001 de Jeff Bodart.
Discographie.
Les Tricheurs :
“Tendez vos lèvres” (1989, CD Virgin).
“Un cygne sur l’Orénoque” (1993, CD Fnac Music).
“Les grands espaces” (1996, CD Mercury).Extrait du chapitre “Lexique : 25 d’hier et d’aujourd’hui”, in “La Belle Gigue – Petite histoire belge de la chanson française” par Thierry Coljon, pp. 151-152, Éditions Luc Pire, Bruxelles, 2001.