Un article de Frédérique Fanchette paru dans le quotidien Libération du 14 avril 2003.
À l’occasion des 2 concerts exceptionnels de Marie France (Marie France et les Fantômes interprètent l’album mythique “39 de Fièvre”) le samedi 11 Mai chez SOS Recording à Ans (Belgique) et le samedi 18 mai au Réservoir à Paris (voir infos ici), une belle archive : un portrait de marie France par Frédérique Fanchette paru dans Libé en 2003.
Marie France,
devenue Marie France à 18 ans,
chanteuse,
ancienne reine du music-hall,
poursuit sa vie d’artiste éclectique.
Ainsi soit-elle.
Ça commence bien. Sur un mur tout près de l’immeuble de Marie France, il y a une affiche de pub délavée : “Monroe, amortisseurs”. Un signe. On est sur la piste de celle qui fut la Marilyn de Paris. Dans son cinquième étage, avec vue sur le Sacré-Coeur, elle reçoit en tenue de dimanche : pantalon argenté, twin-set parme décolleté, un léger maquillage sur sa peau opaline. C’est l’heure du thé, servi dans une tasse décorée de sa photo en voyante. Marie France, chanteuse, comédienne, ancienne reine du music-hall (elle fut longtemps Marilyn à l’Alcazar), égérie des nuits parisiennes, vient de sortir une autobiographie, où elle raconte tout : sa vie d’avant Marie France, ses années d’enfance pied-noir, puis l’éblouissement de l’arrivée à Saint-Germain-des-Prés, la scène, les scandaleuses “Gazolines” (avec leur cri de guerre : “bite !”), le théâtre, la chanson, le rock, le cinéma…
Mais aussi, moins rose pailleté : la drogue, la vie à recommencer plusieurs fois à zéro, les amis morts du sida. Sur la couverture du livre, une photo d’elle par Pierre & Gilles, en Christ, auréolée de rayons, robe fendue et stigmates bien en vue. Marie France leur rend les honneurs à l’intérieur du livre, comme elle le fait pour beaucoup de gens, c’est son côté oscars hollywoodiens. “Pierre & Gilles m’ont offert avec leurs photos des clefs d’or qui m’ont ouvert le coeur, entre autres, des gays du monde entier.”
Gamin solitaire, dans la cour de son immeuble à Oran, il-elle passait ses journées à dessiner sur le sol, des grandes femmes nues ou habillées en Yves Saint laurent. Et sa vie, ce personnage de Marie France, elle l’a bâtie de la même façon. Un personnage fait d’images façonnées par elle-même ou renvoyées par les autres, en miroir.
Dans son autobiographie (350 pages rédigées en neuf mois), elle écrit crânement : “Au fond de moi, je pensais que j’étais une oeuvre d’art.” Une pensée, qu’elle replace dans son contexte : elle lui venait lorsqu’elle était sous acide, dans les années 70. Mais qui trouve un écho aujourd’hui : “Le personnage de Marie France me fascine, parce qu’il est différent des autres. J’ai eu le privilège de choisir ma vie, mon identité, mon nom, mon physique. Alors j’ai pensé que mon histoire valait bien un livre. Avec l’écriture, je suis devenue spectatrice de moi-même.” Parfois elle se durcit: “Je ne suis pas un spécimen de foire. Je suis une femme normale, bien dans sa peau, je fais trois fois par semaine mon marché boulevard d’Ornano.” Et elle balaye d’un coup les questions sur son choix identitaire, sur sa métamorphose sexuelle. Pour renvoyer à ce livre sincère et cru. Une mise à nu, au risque de faire éclater l’image glamour.
Comment devient-on Marie France ? Avec de la ténacité. “Et de la chance”, rajoute-t-elle. Mais d’abord, il faut attendre ses 18 ans et la majorité par émancipation. “Marie France est née en 1964”, dit Marie France qui a pris ce nom, parce que Marie, comme sa mère, et France, comme la patrie. Avant d’avoir choisi son sexe et son identité, “Sa vie était fantomatique”. Le père est cheminot, la mère, au foyer. A la maison, vit souvent la grand-mère Angèle abandonnée par son mari, un danseur de flamenco. Angèle, qui la comprend mieux que personne et qui dit : “Oui, c’est vrai, tu as tout d’une jolie fille.”
En 1962, tout le monde débarque en France, avec un conteneur éventré. Premier lot de souvenirs perdus. Marie France vit en banlieue parisienne, travaille dans des salons de coiffure, fait la fête dans les bars et les clubs de Saint-Germain ou de la place Blanche puis rentre sagement dans sa famille, à Chelles, par le train. Be-bop, bas bordés de zibeline et petit copain voyou, elle a déjà une vie souterraine. Après des déboires, elle se retrouve du côté de Pau. Période morne, à laquelle elle s’arrache en 1964. Pour filer à Paris avec la ferme intention de ne plus en partir.
Marie France, bandeau dans les cheveux et beauté mi-ange, mi-démone, séduit partout où elle passe, s’essaye à la vie de femme au foyer (“Je suis très fleur bleue”, dit-elle encore aujourd’hui), puis s’envole, rêve devant la scène du cabaret le Carrousel. Chez Régine, chez Castel… comme plus tard au Palace, elle vérifie son pouvoir de fascination, croise des célébrités. Pendant quelques jours, on l’appelle “madame Onassis” : le vieil homme aux milliards s’est entichée d’elle. Elle s’en fiche, préfère la vie de bohème, d’hôtel en hôtel, s’étourdir.
En 1969, elle se lance, débarque à l’Alcazar de Paris, haut lieu du music-hall, et décroche son premier contrat. Elle chantera de sa voix caressante Parlez-moi d’amour, en robe de velours bleu nuit. Les plumes, les faux cils, le strass… elle est en plein dans son élément. Elle se fâche, revient, se perd, dort chez les uns, chez les autres, se fait voler sa valise (tout son bien), fait des éclats. Comme si la vie même était cette scène qui la transporte. Et puis déboule pour elle, la “Marilyn-mania”. Au Topless, puis à l’Alcazar, elle est Norma Jean Baker. Elle descend un litre de Chanel n° 5 par mois, étudie toute cette gestuelle qui lui va comme un gant : main sur le plexus, épaules haussées, bouche entrouverte. “Marilyn a été mon porte-bonheur, dit-elle. Mais il ne faut pas imaginer que je me suis prise pour elle.” Grâce à l’actrice, Marie France arrondit encore aujourd’hui ses fins de mois. Il y a quelques semaines, elle était au Jardin d’Acclimatation, dans une Cadillac rose, pour faire la pub d’une marque de glace. La vie d’artiste, c’est aussi prendre ce qui vient, comme à l’époque où elle faisait du strip-tease forain.
Mais le vrai rôle de Marie France, c’est Marie France. Au cinéma, elle tourne notamment dans Barocco de Téchiné, et dans des films underground des années 70, aux raccords hasardeux. Elle se produit avec des membres du groupe rock Bijou. Au théâtre, Marguerite Duras la fait jouer. Et l’écrivain aura sur sa comédienne, une phrase qui sonne comme une bénédiction : “Je dirai qu’elle départage les champs de l’émotion et du désir. C’est impossible de ne pas être troublée par elle. Tout le monde. Les femmes comme les hommes.”
Accro à la scène, Marie France,qui n’a jamais pris de cours, veut surtout chanter, comme au premier jour, en 1969, lorsqu’elle se présenta timidement à l’Alcazar. Parle de sa carrière comme si elle avait 20 ans. Même si elle s’est depuis longtemps attachée un public de fidèles, qui la suit de petite salle en petite salle. Aujourd’hui, elle prépare un nouveau disque “electro”, avec un désir féroce de décoller sur les ondes, intact. Car le mystère de Marie France, c’est d’abord cette volonté, cette insoumission, malgré ses descentes aux enfers, les bâtons qu’elle s’est mis “elle-même dans les roues», malgré les années qui se voient si peu, mais qui lui font détester les chiffres. Dans un morceau, elle chante : “Je suis volage, mais je ne me quitterai jamais.”
Frédérique Fanchette.
Photo Richard Dumas.
Marie France en 9 dates.
1946 Naissance à Oran.
1964 Marie France devient Marie -France.
1969 Débuts au Cabaret l’Alcazar.
1975 Elle joue et chante dans le film “Barocco” de Téchiné.
1977 Premier 45 tours, “Daisy” réalisé avec Jacques Duvall et Jay Alanski.
1980 Album “39 de fièvre” avec des membres du groupe Bijou.
1983 Elle est Marilyn à l’Alcazar jusqu’à 1987.
1997 Sortie de son album “Marie France”.
2003 Parution de “Elle était une fois”, chez Denoël.
Télécharger l’article.
Télécharger cet article (PDF zippé 1,8 Mo).
Voir une image de l’article.
Voir dans une nouvelle fenêtre (.jpg 1,8 Mo).
Liens.
“Marie France. Interprète, auteur, comédienne” de Didier Dahon, janvier 2006 :
http://lalalala.org/mariefrancenoframe.html
“Marie France 39° de fièvre” de Jérôme Reybaud, septembre 2004-février 2005 :
http://www.lalalala.org/mariefrancetrenteneuf.html
Marie France sur Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_France_%28chanteuse%29
Marie France sur Youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=gJ5zHayR1F8
Des photos de nos concerts avec Marie France sur mon Flickr :
http://www.flickr.com/photos/marcwathieu/sets/72157633316366881/