Un article de Isabelle Chelley paru dans le magazine Rock & Folk n°510, février 2010.
Phantom Feat Lio.
Appuyée par ce mystérieux groupe surréaliste, l’interprète d’ “Amoureux Solitaires” renoue avec la pop et les guitares. La rencontre ne pouvait avoir lieu qu’en Belgique.
C’est une vraie histoire de dingues au meilleur sens du terme. La rencontre entre un label à micro-budget et une déjantée pop modèle, le tout en Belgique, l’autre pays du rock et du surréalisme. Pour que le portrait soit complet, il suffit d’ajouter une dose de bubblegum et de gros morceaux de Ramones dedans, des paroles coquines et ambiguës sussurées d’une vraie voix de fausse gamine, de l’improvisation mais en surface seulement et une double portion de banana-split. Non, monsieur l’agent, promis, nous n’avons pas mangé de champignons bizarres et nous allons tout reprendre depuis le début pour que ce soit bien clair. Ce jour où Lio pin-up arrachée d’un comic-book de Jean-Claude Forest, chanteuse pop-punkette et pas que, jurée de Nouvelle Star à fleur de peau et au final pas celle que vous croyez, a croisé la route de Phantom. Ce collectif aux contours flous sorti de Freaksville, label garanti pur DIY fondé par Benjamin Schoos, auteur-compositeur-chanteur-producteur et dessinateur belge bien décidé à faire son truc, quand il veut et avec qui il veut.
À l’origine de cette collision : Jacques Duval. Dandy à chapeau de cowboy, c’est aussi le parolier-Pygmalion de Lio, l’homme qui lui a taillé sur mesure “Banana Split”, “La Reine Des Pommes”, “Seules Les Filles Pleurent” entre autres et tant qu’il y était, a également écrit pour Daho, Marie France, Dani, Chamfort, etc. À peine a-t-il présenté Lio à Phantom qu’elle offre ses services au groupe, lequel décline poliment, de crainte de se faire bouffer tout cru par la personnalité de la star. Plutôt du genre à abattre la porte à coups de talons aiguilles lorsqu’on l’a virée par la fenêtre, Lio colle le nez de Phantom dans ses contradictions : alors comme ça, les Belges ont enregistré un album avec Marie France qui n’a rien d’une petite chose effacée et ils auraient peur de s’acoquiner avec elle ! Benjamin cède. À une condition : Lio, comme tous les artistes passés chez Freaksville, devra se plier aux méthodes maison qui tiennent presque du Dogme. En février dernier, la belle s’embarque pour Liège, direction un studio de fortune installé dans un ancien club déserté depuis un an, qui d’après elle “puait le chat crevé et le moisi”. Trois jours d’enregistrement et huit mois plus tard, “Phantom Feat Lio” sort avec des pépites comme “Ta Cervelle Est En Grève Mais Ta Grande Gueule Fait Des Heures Sup” ou “Je Ne Veux Que Ton Bien”, chanson d’amour étouffante plus tordue qu’elle n’en a l’air (assortie d’un clip où l’on découvre le quotidien planplan des poupées gonflables). Le mélange entre pop enlevée aux textes évoquant l’association Lanzmann/ Dutronc et punk acidulé enthousiasme Lio et lui donne une bonne excuse pour vivre ses fantasmes ramoniaques d’adolescente. Avec Phantom, elle s’embarque dans une drôle de tournée en pointillés dont les dates s’empilent en dépit du bon sens et de la géographie avec, à la clé, la visite des clubs crapoteux sans loge et les accès de génie qui naissent vers 2 du mat’ sur la route de l’hôtel. Comme après ce concert au Botanique en novembre où la petite bande s’est sentie prise d’une envie de reprise. En l’occurrence “Blitzkrieg Bop” des Ramones, répété sur la route entre Bruxelles et un bar de Silly dans le proverbial milieu de nulle part. Quand elle raconte cette histoire, un matin dans une voiture conduite par son petit frère, direction Verviers aux environs de Liège, Lio jubile. Elle a beau jongler entre les coups de fil familiaux et professionnels pendant le trajet en tentant de rattraper du sommeil en retard, rien n’entame son enthousiasme. Ce projet-là l’excite.
Photo by Yves Maquinay.
Duo ramonieux.
C’est la fête des étudiants à Verviers et ceux-là la célèbrent en se mettant raideraides morts saouls avant de se vomir dessus. On se faufile au milieu pour pénétrer au Spirit Of 66, bar américain plus vrai que nature, avec plaques émaillées aux murs, pompe à essence vintage, fresque reproduisant la fameuse route de légende au-dessus de la petite scène et le programme des réjouissances passées. Dick Dale, Ike Turner, Ghinzu ou les Zombies se sont succédé là, entre deux tribute bands et une horde de bluesmen. Selon les soirs, Phantom compte plus ou moins de membres. Aujourd’hui, ils sont six, dont un batteur qui semble échappé des Monks et un trompettiste qu’on verrait bien jouer dans le Charlie Watts Quintet. Pendant que Lio file avaler un croque-monsieur, ils commencent leur balance. Et lorsqu’elle revient avec dans son sac décoré de mugshots de rock stars, une bouteille de saint-estèphe dont elle nous sert un verre d’autorité – on accepte les pots-de-vin à Rock&Folk – ils lancent les premières mesures de “Blitzkrieg Bop”. Lio bondit sur scène. Dans un coin, Duval, également à l’affiche, fredonne ces paroles mémorables et se retrouve embarqué derrière le micro. Ce soir, l’hymne des New-Yorkais sera un duo, ça se passe comme ça chez Phantom. Balance pliée, on descend dans la loge collective observer d’un air méfiant l’une des douceurs locales, la tarte au riz qui trône entre une rnarée de bouteilles de bière. Lio est partie se changer à l’hôtel et on en profite pour discuter de l’album avec Benjamin. Le studio ne sentait pas que le matou crevé. “Le local était désaffecté depuis un ana, environ et quand on est arrivés, on a trouvé des cadavres de chats et de rats, précise-t-il. Comme il était situé sous une gare, il y avait des trains qui passaient toutes les vingt minutes. Je crois qu’on les entend dans l’album.”
Après le dîner où l’on échappe, pour cause de végétarisme convaincu, au traditionnel boulet (spécialité légère comme son nom l’indique à base de boeuf et de sauce) – frites mayo, Lio reparaît en minirobe et cuissardes noires. Cinq minutes avant le début des réjouissances, on se glisse dans la salle. Le public est multigénérationnel. On y trouve des habitués, des fans de la première heure et ce couple croisé tout à l’heure, qui suit la tournée depuis Lille et Lio depuis ses débuts. Comme toujours en Belgique, c’est ambiance bon enfant : on n’observe pas son voisin, on applaudit et on reprend en choeur, c’est tout. Phantom et leur invitée alternent les titres de leur album commun et les tubes qu’on connaît par coeur. ”Ma Cervelle Est En Grève…” rivalise avec le flamboyant “Les Brunes Comptent Pas Pour Des Prunes”. “Le Jour De Ma Naissance” propose un portrait tendrement vache de son interprète et son fond de mélancolie cohabite harmonieusement avec “Amoureux Solitaire”, hommage à Jacno. L’obsédant “Je Ne Veux Que Ton Bien” ne parvient pas à faire tourner la chantilly d’un “Banana Split” toujours pas périmé. Jacques Duval débarque le temps d’un duo ramonieux. Et quand le rappel s’achève, Lio remet une louchée du dessert que sert l’abominable homme des neiges tandis que la salle se transforme en soirée d’ados qui s’agitent en rythme, sans se soucier de renverser leur bière.
L’imaginer en Suzi Quatro.
Dans les loges, les musiciens se changent dans les coins et Lio s’effeuille en papotant sans chercher à se planquer. Une fois rafraîchie, elle remonte dans la salle signer des autographes et poser pour des photos. Elle y est encore deux heures plus tard quand son frère vient la chercher pour rentrer à l’hôrei. Dehors, un type qui a abusé des productions locales à base de houblon l’abrde. Elle finit par lui dire au revoir en se promettant d’y réfléchir. “C’est un fan, raconte-t-elle en montant en voiture. Il me conseillait de faire du funk ou de le soul parce que, selon lui, j’ai la voix pour ça maintenant.” En attendant de prendre un virage crucial dans sa carrière, elle scrute les rues avec l’air absorbé de la vigie guettant les côtes des Amériques. “Là, arrête-toi là” dit-elle à son frère qui s’exécute. Là, c’est une friterie encore ouverte à 2 heures du matin. Tout en dégustant ses frites sur le chemin du retour, Lio réfléchit à haute voix. Elle se verrait bien faire une nouvelle reprise avec Phantom. Non, pas du funk. “Can The Can”, ce serait sympa. On essaye de l”imaginer en Suzi Quatro… Il y a un monde d’écart entre la garçonne manquée en cuir noir et le glamour girl en surface mais, dans le fond, la différence n’est pas si grande entre ces gamines précoces. Elle reparle des Ramones, de ce premier concert avec une vingtaine de personnes (dont elle) dans la salle. Evoque Blondie et les Cramps époque Nick Knox qui était venu lui faire signer le single de “Banana Split”. Une boucle est en train d’être bouclée, là. Elle le sait. Elle ne venge sans doute pas la fan de punk de toujours dont personne n’a jamais saisi les intentions ou voulu le faire. Mais en reprenant ses idoles éternelles, en jubilant à chaque fois qu’elle lance leur cri de ralliement “Hey ho let’s go”, elle est en train de lui faire un joli cadeau.
Benjamin Schoos, trublion belge toujours en mouvement, est également connu sous le sobriquet Miam Monster Miam. Après avoir dessiné dans de nombreux fanzines underground, joué les chroniqueurs radio ou télé, il fonde donc son label en 2006, Freaksville, sur lequel il signe, entre autres Juan d’Oultremont, un artiste contemporain, Sophie Galet, sa femme, une chanteuse folk. Doux éclectisme… Son plus récent album, “L’Homme Libellule”, date de 2007. Les spécialistes parlent de space pop. En 2009, il compose “Copycat”, l’hymne présenté par la Belgique (et le chanteur Patrick Ouchène) au concours de l’Eurovision, qui ne récolte qu’un point.
Isabelle Chelley.
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