Steve Albini : ma petite entreprise

Un article de Stéphane Deschamps sur Steve Albini paru dans Les Inrockuptibles n°345, juillet 2002.

Steve Albini

Cet article, datant de la période lointaine où le magazine Les Inrockuptibles s’intéressaient prioritairement à la musique, est reproduit ici sans autorisation. Si cela gêne quelqu’un, je le retirerai.

Ma petite entreprise.

Producteur culte de quelques disques marquants de la fin du XXe siècle, des Pixies à Nirvana en passant par PJ Harvey, Steve Albini n’a pas pris sa retraite. Il vit et travaille à Chicago, retranché dans son studio d’enregistrement. Visite et entretien exclusif.

Par Stéphane Deschamps. Photo Renaud Monfourny.

“Electrical, bonjour.” Quand on passe un coup de fil au studio Electrical Audio, il y a de fortes chances pour que le patron décroche lui-même le téléphone. Rescapé de la grande époque du hardcore américain, qu’il a marquée au fer rouge avec ses groupes Big Black et Rapeman, producteur de quelques groupes et disques cultes des années 80-90 (Pixies, The Breeders, Nirvana, PJ Harvey, The Wedding Present, Thugs, The Auteurs, Palace, The Jon Spencer Blues Explosion), Steve Albini vit depuis quelques années terré dans son studio de Chicago, dont il ne sort que pour assurer les rares concerts de son dernier groupe en date, Shellac. Il a récemment produit le dernier Breeders et le prochain Godspeed You Black Emperor! Et plein d’autres trucs qu’on n’aura sans doute jamais l’occasion d’entendre.

L’insigne privilège de rencontrer Steve Albini, on le doit aux Français Dionysos, qui ont enregistré l’hiver dernier leur album Western sous la neige dans les studios Electrical. Cube de brique rouge fondu dans l’architecture chicagoane, Electrical est aussi la maison de Steve Albini. Il a sans doute gagné beaucoup d’argent (en produisant des choses comme Bush ou Page/Plant), approche la quarantaine et vit pourtant dans un studio – plutôt un studio-home qu’un home-studio. Quelques luxueuses centaines de mètres carrés dédiés au son – uniquement analogique – et au confort des musiciens. Steve A!bini partage sa cuisine, son salon, son billard, sa télé et sa collection de cassettes vidéo avec les groupes résidents. Les musiciens dorment sur place, Steve Albini aussi. Mais ses nuits sont courtes. Avant de le rencontrer, on savait qu’Albini traînait une réputation de maniaque, de tough guy, de fou peut-être dangereux, toqué d’éthique, à la personnalité aussi dure et torturée que sa musique. Auteur de papiers brûlots dans les fanzines les plus radicaux d’Amérique. Conscience underground. Résistant.

Pourtant, à première vue, Steve Albini a l’air tout à fait normal. Il ressemble à un vieil étudiant très calme et sérieux, concentré sur son travail, avec la bouille du grand frère d’Harry Potter. Un type comme vous et moi, mais plus bosseur. Si Albini est fou, c’est surtout de travail. Il ne mange qu’une fois par jour, dans la nuit, sa journée terminée. Après quelques heures de sommeil, il enfile son bleu de travail frappé du logo Electrical et retourne au turbin, pour une douzaine d’heures derrière les tables de mixage qu’il a, pour certaines, fabriquées lui-même. Et c’est ainsi sept jours par semaine, plus ou moins toute l’année. Déconcertant d’humilité et de rigueur professionnelle, l’ingénieur du son Steve Albini (il préfère ça à producteur) n’est pas (plus ?) le mythe vivant ou la bête fauve qu’on fantasmait bêtement. Plutôt un mélange de chef d’entreprise, d’ouvrier qualifié et de vieux sage, qui aurait trouvé dans la réclusion et l’amour du travail bien fait une forme d’équilibre plus solide que la colère des années hardcore. Candide avait bouclé son périple initiatique en choisissant de rempoter ses géraniums. Revenu de toutes les aventures du rock, Steve Albini place ses micros, triture ses potards et rembobine ses bandes.

Steve Albini

Entretien.

Steve Albini – Un disque a littéralement changé ma vie : le premier album des Ramones. Je l’ai découvert pendant un voyage scolaire, un des enfants avait un magnétophone dans le bus et il a mis cette cassette des Ramones. Je trouvais ça hilarant, je croyais que c’était de la musique pour rire. En rentrant à la maison, j’ai commandé l’album au magasin de disques : il m’a rendu fou ! Avant, j’avais énormément écouté les disques de mes parents – Johnny Cash, Hank Williams, des artistes du label Folkways comme Odetta ou Leadbelly. Mais c’est avec les Ramones que j’ai commencé à m’intéresser vraiment à la musique. Pour moi, il y a toujours eu un parallèle entre la musique et le son. Je me suis mis à jouer d’un instrument vers 16 ans, peu après avoir commencé à écouter de la musique sérieusement. Au même moment, j’ai commencé à enregistrer et à écrire pour des fanzines. C’était différentes facettes de la même passion pour la musique. Mon travail d’ingénieur du son a commencé de manière très informelle : quand j’étais adolescent, tous mes amis étaient dans des groupes, j’avais un magnétophone alors on me demandait de faire des enregistrements.

Le studio Electrical Audio représente-t-il un aboutissement ?

Avant d’avoir mon propre studio, j’avais travaillé en free lance dans d’autres studios. Depuis 1986, j’avais un studio chez moi. Puis j’ai acheté cet immeuble en décembre 1995. Il y a cent ans, c’était une laiterie ; dans les années 40-50, ça appartenait aux flippers Bally qui avaient leur siège pas loin d’ici ; puis dans les années 60-70, c’est devenu une imprimerie. Depuis que j’ai créé ce studio, chaque penny que j’ai gagné y a été investi. Et je suis sûr que chaque penny que je gagnerai dans les vingt prochaines années sera pour le studio. Je suis
totalement heureux de travailler ici, je n’ai besoin de rien d’autre. Je suis fier du fonctionnement de cet endroit. Dans la plupart des studios que j’ai connus avant, il y avait quelque chose qui clochait. Pas ici.

Comment gères-tu le fait de travailler et d’habiter au même endroit ?

Si quelqu’un me demandait de décrire ma vie idéale, je ne dirais pas “Je veux passer toutes mes journées dans le même immeuble, ne jamais sortir, ne pas avoir de vie privée et voir ma copine seulement après minuit.” Je n’ai pas d’intimité, ce n’est pas la vie dont je rêve. Après une journée de travail, une personne normale peut rentrer chez elle et avoir une vie privée. Pas moi. Mais c’est comme ça, je n’y peux rien. Je ne pourrais pas vivre ailleurs, parce qu’il faudrait que j’en ai les moyens. Je dois travailler tous les jours, parce que j’aurais de gros problèmes si je ne faisais pas rentrer d’argent quotidiennement. Mais ça me va. Les groupes qui viennent au studio veulent faire des longues journées. Donc, je ne sors jamais du local. Ça me va encore. Mais quand je fais le ccmpte de tous les gens que je rencontre, des choses que je vis, je peux m’estimer heureux. J’ai choisi d’être heureux comme ça.

Quelle serait ta vie de rêve ?

Si je pouvais travailler un peu moins, avoir plus de temps pour moi, consacrer du temps à des choses extérieures au travail, ce serait parfait. Mais je pense aussi que la façon dont je vis maintenant vaut le coup.

Qu’est-ce qui t’oblige à travailler sept jours sur sept ?

Il y a beaucoup de raisons. La première, c’est que je ne gagne pas d’argent quand je ne travaille pas et que j’ai des salaires, des factures et des impôts à payer. Je pense aussi que c’est une bonne chose d’être en permanence sur le terrain. Je suis comme un sportif, et un sportif qui s’arrête, même deux semaines, perd des petites choses. C’est pareil avec les disques. En étant dedans en permanence, je comprends tout, je peux travailler plus rapidement, mieux, avec un meilleur résultat.

En augmentant tes tarifs, tu ne pourrais pas te permettre de travailler moins ?

La plupart des groupes ne pourraient pas payer plus – et parmi ceux-là, il y a ceux qui m’apportent le plus de satisfaction. Ça me briserait le coeur de dire à un groupe: “Je ne peux pas faire votre disque parce que je ne suis pas dans vos moyens.” Travailler avec n’importe quel groupe, du moment qu’il paie le prix fort, me mettrait dans la position d’aller vers les gens qui ont plus d’argent. Actuellement, ce sont les groupes qui font appel à moi et ça me plaît ainsi. Je ne demande rien à personne et je n’aimerais pas avoir à le faire. “Je pourrais dire à certains groupes “Je sais que vous croyez très fort à ce que vous faites, mais vous avez tort”. Mais je préfère laisser les mauvaises idées faire leur chemin.”

Quels sont tes critères pour accepter de travailler avec un nouveau groupe ?

J’essaie de ne jamais dire non. Si je pense que je peux travailler sur la musique, si le groupe a envie de travailler avec moi, si je me sens compétent, je dis oui. Je me sens incompétent quand je connais mal le style musical, comme la musique électronique, la dance. La musique électronique abstraite, ça va. Mais la dance, je ne m’y intéresse pas et je ne comprends pas cette musique. Je ne pense pas que ce serait une bonne idée de travailler sur une musique que je ne comprends pas ; je ferais du mauvais travail. Quand j’écoute une musique qui me semble totalement copiée sur autre chose, quand j’entends la version française de Rage Against The Machine, ça ne m’intéresse pas. Ces groupes devraient plutôt s’adresser aux producteurs qui ont travaillé sur les disques dont ils s’inspirent. Je peux donc refuser ce genre de projets. Mais, en général, j’essaie vraiment de ne jamais dire non. Après, tout est question de planning.

Est-ce important pour toi d’aimer les groupes que tu produis ?

Pas du tout. D’un point de vue professionnel, ce n’est pas important. Si tu vas chez le docteur, peu importe que le docteur t’apprécie ou qu’il aime ta coupe de cheveux. En tant que professionnel, je ne laisse pas mes goûts dicter mon approche des groupes avec lesquels je travaille. Ça reviendrait à mettre mes goûts au-dessus de ceux du groupe. Et je pense que l’esthétique et les goûts du groupe sont primordiaux. Ce qui compte pour moi, ce sont mes moyens techniques, ma capacité à compléter et à faciliter la réalisation d’idées. C’est très immature de penser qu’un technicien, un ingénieur, un producteur peut détenir la force esthétique. Ce serait très égoïste, ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Je suis un cameraman et le groupe est le réalisateur. Si un groupe joue un son qu’il aime, j’enregistre ce son. Si un groupe n’est pas satisfait par ce qu’il joue, mon travail est de l’aider à trouver ce qu’il a en tête. Je n’invente rien, je ne crée rien, je suis attentif à ce qui passe et j’essaie d’éviter les erreurs.

Il y a donc ton nom sur des disques que tu n’aimes pas.

Ça arrive tout le temps, mais ce n’est pas un problème. Je me vois comme un garagiste : parfois je travaille sur des voitures que j’aime et parfois sur des voitures que je n’aime pas. Chaque mécanicien a ses voitures préférées, mais il devrait être capable de réparer toutes les voitures. Il y a des groupes que j’écouterais pour mon plaisir et d’autres, non. Mais cette distinction n’intervient pas quand je travaille sur un disque.

Tu es un garagiste célèbre, tu pourrais te permettre de travailler uniquement sur les voitures que tu aimes…

C’est une présomption. Je suis Steve Albini et les gens se font des idées sur ce que ça doit représenter. Mais si je travaillais uniquement avec les groupes qui me passionnent, je travaillerais deux fois par an. Je disparaîtrais rapidement de la liste des producteurs, par manque de pratique. Je perdrais le contact avec ceux qui font des disques. Souvent, je ne sais pas à l’avance si je vais aimer travailler sur un disque. Je peux le savoir six semaines après avoir fini le travail. Le plus important est de travailler avec divers groupes en permanence. J’ai besoin d’être exposé à des musiques et à des façons de penser différentes, pas d’être fan de ce que je fais. C’est parfois gratifiant, parfois ça m’apprend des choses et parfois c’est tout simplement de l’exercice, une façon de garder mes qualifications d’ingénieur du son.

Quel est ton état d’esprit quand tu commences une nouvelle session ?

J’ai quelques bases. D’abord, je demande au groupe de me faire une liste avec un commentaire sur l’ambiance, l’inspiration de chaque chanson. J’essaie d’expérimenter des petites choses à chaque fois. Parfois, c’est un échec et quelquefois je découvre des choses. Ce qui est important, c’est de comprendre ce que le groupe veut au-delà des chansons. En fin de compte, on s’organise toujours en fonction du but recherché. L’organisation des sessions est primordiale. Le même groupe, avec la même musique, peut faire son disque en quinze jours comme en cinq jours. Et le disque fait en cinq jours peut être excellent, il n’y aura jamais de temps perdu. Il n’y a pas une seule méthode pour faire un disque et chacun requiert une approche différente. Si on a beaucoup de temps, on peut essayer plus de choses.

Arrive-t-il que les groupes n’aient rien à dire sur leur musique ?

Il m’est arrivé de travailler avec des groupes dont toutes les chansons étaient à peu près identiques, même instrumentation, mêmes sentiments. Mais il y a toujours des nuances, des détails sur lesquels travailler. Techniquement, je sais quoi faire quand on me demande un son en particulier.

Si un groupe te demande de travailler avec de l’équipement numérique, que dis-tu ?

En général, les groupes n’ont pas de demandes concernant la méthode de travail. Ils me disent où ils veulent aller et c’est à moi de voir ce dont j’ai besoin pour y parvenir. Tant que le groupe obtient ce qu’il veut, la méthode d’enregistrement n’est pas très importante. Cela dit, je ne tiens pas à travailler avec du matériel digital, parce que c’est source de beaucoup de problèmes techniques. Par exemple, la musique de Buddy Holly ou des Beatles est toujours très populaire, on peut faire des CD à partir des bandes originales. Mais il n’y a pas d’équivalent digital à un master analogique. Un fichier numérique actuel n’existera plus dans vingt ans. On ne peut pas préserver la musique numérisée dans une perspective historique. Je pense que c’est presque irresponsable pour un ingénieur du son de dire: “Je vais faire ton disque, mais il ne sera bon que pendant cinq ans. Espérons que personne n’aime vraiment votre musique, parce que dans vingt ans plus personne ne pourra l’écouter.” Il y a aussi le problème de la culture des studios, avec ses modes, ses cycles, ses clichés. Dans les années 80, la tendance était aux boites à rythmes et à certains sons de synthé. La musique de cette époque est comme gelée dans le temps. On entend ces disques, on pense Duran Duran, Wayne Chang. Dans les années 80, il y avait plein d’artifices extra-musicaux. Des ingénieurs ou des producteurs ont intentionnellement modifié le son pour qu’il soit à la mode. À l’époque, tout le monde écoutait les mêmes sons, les mêmes clichés qui ont fixé cette musique dans une époque. Les disques qui durent sont ceux qui ont un minimum de références culturelles datées. Il y a des disques des années 80 qu’on peut encore écouter aujourd’hui. Mais les Thompson Twins ou Nena, c’est artificiel. En ce moment, l’utilisation de Pro- Tools a créé de nouveaux clichés: les voix robotisées, les boucles rythmiques, les samples, les sons amusants. Dans cinq ans, tous ces clichés sonneront aussi ridicules qu’un disque des Thompson Twins. La musique n’a pas besoin de Pro-Tools. Aucun groupe ne dit: “Ce serait bien qu’on remplace notre batteur par une boite à rythmes.” La production impose ces choses à la musique. Je ne peux pas créer un son artificiel qui serait meilleur que le son naturel du groupe. Si on n’entend plus de disques avec le son des années 80, c’est parce que ce son ne venait pas des musiciens mais de l’extérieur, de producteurs qui voulaient exercer un contrôle sur la musique.

À un moment, tu es devenu presque plus célèbre que les gens que tu produisais. Qu’as-tu ressenti ?

Je ne lis pas la presse, l’appréciation qu’on a de moi ne me touche donc pas beaucoup. Je sais que la plupart des groupes avec lesquels je travaille viennent à moi pour de vraies raisons. Si travailler avec moi est pour certains une stratégie marketing, je pense qu’elle n’est pas très efficace : il y a des centaines de disques que j’ai produits qui ne se sont pas vendus. Je ne prends pas tout ça au sérieux. Les stratégies des managers, des labels et de la presse ne sont pas celles des groupes. Les gens qui travaillent dans la musique mais ne sont pas musiciens ne comprendront jamais comment se fait un disque en studio, comment fonctionne l’alchimie d’un groupe, ce qu’est un musicien. Ils ont des images, des projections qui sont souvent fausses.

Existe-t-il un son Steve Albini ?

Des gens l’ont dit, mais quand je pense aux disques sur lesquels j’ai travaillé, il y en a de toutes sortes. Au cours des derniers mois, j’ai travaillé avec un groupe country-rock qui joue des reprises de Michael Jackson, j’ai fait un album de musique orchestrale, un album de prog-rock, un disque avec Silkworm, je termine un disque avec Dionysos… En quelques semaines, j’ai abordé plein de styles, et mon boulot a été différent à chaque fois. Mais si on écoute seulement Nirvana, les Pixies et PJ Harvey, il y a des similitudes.

Que préfères-tu dans ce métier ?

Être en contact avec des gens qui réalisent leurs rêves. C’est comme faire partie d’une équipe de base-ball qui gagne le championnat. Je suis devenu ami avec certains des musiciens que j’ai produits: pour moi, c’est très gratifiant. L’amitié est devenue plus importante que le projet de travail sur un disque, c’est pour moi ce qu’il y a de mieux dans la musique. Ce que je n’aime pas, c’est la manipulation des gens pour correspondre à une image. J’ai travaillé sur plus de mille disques et j’ai vu beaucoup de groupes. Je sais comment les choses évoluent pour un groupe. Quand je vois une situation de désillusion ou de conflit qui se profile, c’est dur pour moi. Je ne peux pas vraiment agir. Chaque groupe est déterminé et a une idée précise de ce qu’il veut faire. Je pourrais leur dire: “Je sais que vous croyez très fort à ce que vous faites, mais vous avez tort.” Personne n’a envie d’entendre ce genre de conseils. En général, je laisse les choses arriver. Sinon, ça crée du doute et du ressentiment. Je préfère laisser les mauvaises idées faire leur chemin. Ce chemin a une valeur, quelle que soit l’issue.

Est-ce conflictuel de travailler avec toi ?

Je n’aime pas dire non, même quand je sais que dire oui va engendrer des problèmes. En fin de compte, je suis l’employé des groupes. Comme n’importe quel employé, je travaille sous les ordres de mon patron, le groupe. Mais une bonne relation doit permettre l’explication,la communication. Je ne suis pas un génie du studio, mais j’ai de l’expérience, c’est même ce que j’ai de plus précieux. J’ai vu beaucoup de groupes faire les mêmes erreurs, et je pense que c’est important de passer par là.

Que représente le groupe Shellac pour toi ?

Dans un sens, Shellac est un moyen de prendre des vacances. Je pense à la musique comme au tennis, au ski : ça me passionne, j’ai envie de pratiquer, mais je pense aussi que très peu de gens devraient être professionnels. Dans mon cas, le groupe est uniquement une question de créativité, je n’ai pas d’aspirations commerciales ou professionnelles.

N’es-tu pas frustré d’avoir si peu de temps à donner à Shellac ?

Non, la situation actuelle est parfaite pour moi. J’aime mon travail quotidien et de temps en temps, je joue de la musique avec Shellac. Je suis au bon niveau d’engagement avec Shellac.

T’intéresses-tu autant à la musique qu’il y a vingt ans ?

Oui, même si je manque de temps pour écouter de la musique par plaisir. Je regrette de ne pas aller davantage à des concerts. Mais je trouve encore de la musique pure, celle qui est créée pour elle-même, et non comme moyen d’accéder à autre chose. On la trouve chez ceux qui font de la musique avec passion.

Avec qui rêverais-tu de travailler ?

J’adorerais faire un disque avec AC/DC et avec Crazy Horse. Mais je suis sûr qu’ils ne savent pas qui je suis. Leur demander ? Je me sentirais stupide, comme de demander une danse à une fille dans une soirée. Même si tout le monde fait ça, je ne m’en sens pas capable. J’aimerais aussi travailler avec le chanteur de soul Bill Withers. Et avec des gens qui ont un esprit aventureux et un énorme talent, comme Willie Nelson ou Johnny Cash. Mais ceux avec qui je travaille m’apportent beaucoup. Je ne passe pas beaucoup de temps à regretter ce que je ne fais pas. Mon inquiétude, c’est plutôt d’imaginer ce qui arrivera quand je serai vieux, sourd et que je ne pourrai plus enregistrer de disques. Et je ne sais vraiment pas ce que je ferai.

Cinq incontournables parmi les centaines de disques enregistrés par Steve Albini.

Pixies : Surfer Rosa (1988).
C’est souvent via ce disque supersonique que les amis du rock ont découvert le nom de Steve Albini. Et qu’ils ont failli devenir sourds. À l’époque, Steve Albini était plus connu que les Pixies. Plus pour longtemps. Il produira ensuite les Breeders, le groupe solo de leur bassiste Kim Deal.

Nirvana : In Utero (1993).
Nirvanalbini, le choc des titans. Sans doute quelque peu modéré par un mix final confié à Scott Litt (collaborateur de REM), le troisième et dernier véritable album studio de Nirvana fait un successeur très digne au raz-de-marée Nevermind.

PJ Harvey : Rid of Me (1993).
Après son chef d’oeuvre de premier album, PJ Harvey confie sa colère à Albini, qui n’arrange rien à l’affaire. Un peu trop brut de pomme, ostensiblement binaire, Rid of Me déçoit. Après ce disque, PJ habillera ses chansons de plus voluptueux atours.
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The Jon Spencer Blues Explosion : Acme (1998).
Steve Albini n’a pas fait le boulot tout seul, mais il peut se vanter là d’avoir participé à l’un des plus grands disques de l’histoire de la musique enregistrée – et au meilleur album du Jon Spencer Blues Explosion.

Dionysos : Western sous la neige (2002).
Dernier en date des quelques groupes français qui ont été produits par Albini (avec les Thugs et Sloy). Dionysos a enregistré sur place, au studio Electrical de Chicago, et ils en sont revenus tout retournés. Avec un beau disque en poche.

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Liens.

  • “Steve Albini : Sound Engineer Extraordinaire” sur SoundOnSound.
  • “Steve Albini interview” for “Art of Record Production Conference” at Leeds Metropolitan University.
  • One thought on “Steve Albini : ma petite entreprise

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