Un article de Marie-Anne Georges paru dans le journal La Libre Belgique du 19 février 2002.
Image de Marc.
Avec des outils qu’il qualifie d’improbables, le chanteur Marc Morgan avance par tâtonnement, habité par le doute, omniprésent. Afin que “Les parallèles se rejoignent” comme le suggère le troisième album du chanteur graphiste ?
Une illusion. D’optique avant tout. Souvenez- vous de ces routes de vacances où, tout au loin, les bordures confluaient. Une image, celle du troisième album de Marc Morgan, intitulé `Les parallèles se rejoignent´. Deux dadas réunis: la musique et le dessin. Quand on sait que Marc Wathieu de son vrai nom est également professeur à l’Ecole de recherches graphiques de l’Institut Saint-Luc à Bruxelles, on commence à comprendre. La pochette du CD et son site internet ne font que confirmer. Même si tout n’a pas toujours coulé de source. “Quand vers 16, 18 ou 20 ans, vous faites part de votre désir de devenir dessinateur ou musicien, cela ne peut qu’énerver tout le monde parce que cela échappe totalement à l’entendement.” C’est vrai qu’à la fameuse question “qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?”, il peut être plus rassurant pour certains parents de s’entendre répondre avocat ou médecin.
La musique, Marc Morgan l’aborde en autodidacte – il n’a jamais eu la patience d’aller suivre des cours au conservatoire. “Mes outils sont improbables, ce n’est que par mes tâtonnements que j’avance.”
Les années 80 le voient évoluer au sein d’Objectif Lune, des Révérends du Prince Albert ainsi que des Tricheurs. “Faire de la musique est une activité qui s’est imposée comme ça, par plaisir. Et, à mon avis, cela doit être la plupart du temps ainsi.”
Naturellement, entre le travail d’un artiste dans sa petite bulle et les réalités économiques d’une firme de disques, les parallèles sont loin de se rejoindre, elles font plutôt le grand écart. “J’ai envie de faire des disques, mais je n’ai pas envie qu’on me dise ce que je dois faire.” Voilà sans doute pourquoi les Tricheurs, signés par une multinationale, ont splité. Voilà sans doute aussi pourquoi le chanteur vient encore de changer de label. “À l’heure actuelle, pour des artistes qui voudraient démarrer, il n’y a plus de patience. Créer et vendre sont deux métiers. Je ne suis pas naïf, il faut tenir tenir compte de la nécessité de rendement, mais pour moi, écrire des chansons, cela a à voir avec des moments perdus.” Et l’homme de pousser l’image encore plus loin, non dénuée de pertinence par ailleurs. “C’est la même chose pour un peintre qui veut réaliser des tableaux. Il ne va pas dans une banque chercher les moyens de concrétiser son envie.”
Sur la genèse d’une oeuvre, Marc Morgan est intarissable. “Quand on prépare un disque – ou un film, ou un livre -, la période pendant laquelle on travaille n’a aucun sens pour l’extérieur. Cela a plutôt rapport avec une espèce d’activité pathologique. C’est quelque chose d’intuitif. Comme dans Rencontre du 3e type , le gars qui construit dans son assiette une montagne de purée. Son acte est a priori incohérent. Mais si cela prend sens un jour, cela rachètera le temps passé.”
Des affres de la création au stimulant pour justifier un nouvel album, la spirale semble infernale. Après deux albums évoluant dans un registre plus léger – “Un cygne sur l’Orénoque”, “Les grands espaces” -, Marc Morgan, dont la vie côté jardin connaît quelques soubresauts, choisit de parler des choses qu’il vit parce qu’il a envie de les faire partager. Une expérience de la rupture dans laquelle tout un chacun peut se sentir concerné. Cela donne notamment “Je reviens de loin”, “Tout le monde se quitte”, “Fausse route”, “À chaque pas, je marque un point”. Avec, dans chacune de ces petites histoires, l’impression que le protagoniste se retrouve perdant. “Je ne sais pas s’il y a vraiment un gagnant et un perdant. Dans le flux naturel d’une vie, il y a des choses qui se passent. À un moment donné, il faut les accepter et les considérer comme des étapes qui construisent quelque chose, même si elles sont dures à passer.”
Marc Morgan, photo Muriel Thies.
Expériences de la vie également, mais nettement plus réjouissantes, se révèlent les voyages. Marc Morgan n’en revient toujours pas qu’un de ses frères – il a deux frères et une soeur – “absolument pas aventurier” soit parti en Chine puis aux États-Unis pour enseigner le marketing à Harvard. “C’est un hasard que mon frère se soit retrouvé dans le Massachusetts. J’en ai donc profité pour partir sur les traces de Moby Dick. Enfant, j’avais lu une version digérée du livre d’Herman Melville. Plus tard, j’ai plongé dans l’édition complète. Puis j’en ai fait une lecture à mes enfants. Ça les a passionnés, c’est vraiment un grand récit d’aventure. On est allé à New Bedford et au Musée de la baleine à Nantucket, c’était très émouvant.”
Et de poursuivre le pèlerinage sur les traces d’Edward Hopper, cette fois pour se retrouver dans son village natal de Truro au Cap Cod. “Hopper a préfiguré les peintres pop américains que j’adore par dessus tout – Warhol, Lichtenstein, Rauschenberg. Il a regardé la réalité de son environnement à travers les premiers signes du `progrès´. Par exemple, la publicité, la surcharge des fils téléphoniques, les sigles des pompes à essence.” Ce voyage, Marc Morgan le motive: “Quand on est musicien et qu’on fait de l’image, il y a beaucoup de raisons de s’intéresser à la culture américaine.”
Et à tant d’autres choses. À tel point que l’homme se reproche son éclectisme. “Pour les médias, il vaut mieux incarner quelque chose d’extrême. Je me rends bien compte que ce que je produis possède moins d’aspérités. C’est sans doute lié à des questions de caractère, de tempérament.” Il faut le voir à ce moment, dans ce café de la grand- place de Huy où il vous a donné rendez-vous, étayer son manque d’ambition. Devrait-on le rassurer avec la tirade de Cyrano: “Ne pas monter bien haut, mais tout seul” ?
Toujours est-il que son plaisir de découvertes, il le partage avec ses enfants. Le papa de Maxime (12 ans) et Juliette (10 ans) se rend bien compte que leur éducation est quelque peu biaisée. “Je ne vois pas très bien le sens que cela pourrait avoir de dire à ses enfants que c’est bien d’écouter de la musique, d’aller au cinéma, si on ne le fait pas soi-même. Ceci dit, il faut remettre les choses à leur juste valeur. Chacun fait un peu suivant ses passions. Les enfants, c’est surtout l’enthousiasme qui les frappe.”
Peut-être partageront-ils avec lui cet attrait pour les guitares millésimées comme cette fameuse Rickenbaker qu’il gratte si intensément? “Les modèles de guitare sont chargés d’histoire. Ma première guitare, je l’ai achetée avec mon frère, c’était une Fender. Une occase. On regardait comment des artistes comme Dylan ou Clapton les utilisaient. Rory Gallagher ou Jimi Hendrix aussi – des clichés. On aimait également beaucoup Neil Young, mais il possédait une Gretsch – beaucoup trop cher. Ce qui m’intéresse, avec la Rickenbaker, c’est le son. Elle a beaucoup de caractère, on peut la gratter comme on le fait avec une acoustique.” Qui parlait d’amateurisme ?
Marie-Anne Georges.
“Les parallèles se rejoignent”, un CD Viva Disc, distr. Sony, 704006
Marc Morgan le 23/2 aux Halles de Schaerbeek (Festival les Jeux), et le 19/4 à Silly.
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