Un texte de Yves Bigot accompagnant la sortie de l’album “Un Cygne Sur l’Orénoque” (FNAC music, 1993).
De M&M (Manset et Murat), la substantifique moëlle de la chanson française est peut-être en passe de devenir les 3 M (Manset, Murat, Morgan). Comment ?
Première étape: La Flèche.
“Timide victime / T’as mauvaise mine / Le poids des années difficiles / Fatigue la machine” … À deux heures du matin dans la tiédeur de ce mois d’août olympique, c’est Satori en Normandie. Sur une départementale mal éclairée, une cassette diligentée par Philippe Poustis (responsable artistique FNAC Music), déverse ses touchantes Tresses de tristesse sur une mélodie contagieuse. “Tu devras couper tes tresses de tristesse / Et partir sans laisser d’adresse / Couper tes tresses de tristesse / Et fuir ce passé qui te blesse”. La perfection pop absolue, des Beatles aux Byrds, des Kinks à Teenage Fan Club, c’est ça : la nostalgie dans l’entrain, les larmes à travers le fou-rire, la blessure du sourire. “Tu pleures en sourdine / Mais j’ai l’ouïe fine”, chante cette voix qui perce le voile anesthésiant du quotidien, qui rompt la solitude.
Deuxième étape : Paris.
Dans un restaurant indien très moyen du 6ème arrondissement, l’auteur de cette troublante maquette décline son identité: Morgan, Marc, trente ans, belge, wallon, hutois (de Huy, au célèbre “mur” du final de la Flèche Wallonne), ancien leader des Tricheurs (un album sur Virgin Belgique, Tendez vos lèvres, et un hymne, le Jour J.) et actuel compositeur de la Variété (album chez Barclay), guitariste, pianiste, harmoniciste, programmateur de synthés, prof’ de dessin à l’école Saint-Luc (Beaux Arts) de Bruxelles. Tout se scelle en quelques phrases. D’un commun culte de Neil Young résulteront un échange de pirates et d’inédits, et une adaptation refusée par l’éditeur de “See The Sky About To Rain”. D’une admiration mutuelle pour les arrangements de cordes de Paul Buckmaster sur le deuxième album d’Elton John, que plus personne ou presque n’écoute encore aujourd’hui (c’est celui avec la pochette toute noire, qui s’ouvre par “Sixty Years On”), naîtra le parti-pris de la réalisation de l’album. Comme Rattlesnakes de Lloyd Cole and the Commotions, le premier Marc Morgan sera serti de cordes.
Troisième étape : Huy.
Sur une crête ventée et battue par la pluie d’automne, découverte du studio où le prodige Tricheur a maquetté avec le programmateur Marc Radelet une quarantaine de chansons toutes prêtes à enregistrer. Collection de Rolling Stone, de Rock & Folk, des Inrocks, romans américains, bande-dessinées, albums de Neil Young (évidemment), mais aussi de George Harrison, de Paul Simon, etc. Classicisme absolu sans cesse révisé à l’aune de la nouveauté technologique et du modernisme new wave ligne claire. Dessins, collages, montages, tableaux, rappellent cette boîte verte désuète qui contenait la cassette qui a tout déclenché…
Quatrième étape : Liège.
Dîner en “République Libre d’Outremeuse” avec Marc et Marie-Christine Devillers, sa compagne. Première sélection destinée à éliminer les chansons qui rappellent encore un peu les Jean-Louis (Aubert et Murat). Puis seconde, crève-coeur, pour n’en conserver que quatorze sur la vingtaine qui reste. D’autant que le manant continue d’en écrire de nouvelles chaque semaine… Plan de bataille, planning, contrat, bière, bouffe, chaleur…
Cinquième étape : Bruxelles.
Au studio ICP de John Hastry, Phil Delire (réalisateur de Bashung, Noir Désir, Jean-Louis Aubert, Philippe Lafontaine, Philippe Pascal, etc.) accouche “Un cygne sur l’Orénoque” en deux cycles, novembre (enregistrements) et janvier (mixage), avec la participation de musiciens bruxellois, d’un quatuor à cordes et de trois choristes. Reportages de la presse belge, première séance photos avec Michel Moers, ex-Télex.
Sixième étape : Paris à nouveau.
Gravure à Dyam, nouvelle séance photos (avec Nicolaï Lo Russo), pochette (Objectif Lune sous la direction de Marc Graffeuille, directeur du marketing), clip (réalisé par Alexandre Hotton pour Program 33, sous l’ceil de Jean-Baptiste Jouy, chef de produit), choix de “Notre mystère, Nos retrouvailles” comme premier extrait enthousiasmant.
Septième étape : Anderlecht.
Présentation de la nouvelle coqueluche belge à l’équipe de Play It Again Sam, label qui licencie FNAC Music outre-Quiévrain. Effusions, plans sur la comète (de l’Atomium ?) pour le lancement de l’album en territoire conquis.
Huytième étape : ???
La France est-elle prête pour l’Ultra terrestre Marc Morgan, quintessence pop francophone entre fun anglais, racines américaines et goût français ?
Yves Bigot.
Liens.
Voir les crédits de “Un Cygne Sur L’Orénoque” sur Discogs. Voir la discographie complète de Marc Morgan sur Discogs. Voir l’article Wikipedia consacré à Marc Morgan.