Un article de Frank Destrebecq paru dans le journal Le Soir du samedi 23 juillet 1994.
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Entre Huy et Paris : Marc Morgan et ses racines.
Béret vissé sur le crâne, lunettes à la Elvis Costello, à 30 ans, Marc Morgan est devenu une figure marquante de la chanson belge. Ex-membre de différents groupes (Objectif Lune, les Révérends du prince Albert, les Tricheurs), ce Hutois attaché à ses racines comme Dutronc à ses cigares-boulons, a décidé de faire carrière en solo du jour où il est apparu que le succès ne pouvait se satisfaire de demi-mesures: Inévitablement, les voyages allaient créer des complications entre les autres membres du groupe et je n’avais aucune envie de m’étriper avec eux. J’ai préféré tenter l’aventure seul. Ainsi, si cela ne «marchait» pas, je n’avais qu’à m’en prendre à moi-même.
Seul au créneau, face à la page et à la portée blanches (il est auteur-compositeur-interprète), Marc Morgan a pris le temps, deux ans durant, d’écrire «Un cygne pour l’Orénoque», un album enregistré à Bruxelles puis édité l’an dernier par une maison de disques parisienne. Avec des simples qui ont déjà chatouillé tous les tympans: «Notre mystère, nos retrouvailles», «Un ami qui vous veut du bien». Suivit une tournée en première partie des Innocents, avec des galas à l’Olympia, à Bobino, au Québec, etc., pour celui que certains comparent à Gérard Manset, à Jean-Louis Murat ou à Jean-Louis Aubert (ex-Téléphone).
En même temps qu’il franchissait la frontière d’outre-Quiévrain, Marc Wathieu, de son vrai nom, a pris un pseudonyme pour le plaisir ludique, mystérieux et excitant de changer de nom. J’aime ce dédoublement d’identité qui, comme dans les romans de Modiano, permet de cacher sa propre personnalité. Pourquoi Morgan? Un peu par hasard, je me suis un jour trouvé face à une affiche de «Quai des Brumes», avec Michèle… Morgan, qui portait elle aussi un béret dans le film de Marcel Carné (NDLR: le cinéaste français a également réalisé… «Les Tricheurs»). J’ai été séduit par l’aspect glamour, romantique et populaire de ce nom. Mon vrai patronyme me faisait moins phantasmer.
Le show-businness pur et dur à la parisienne l’amuse pour son atmosphère Louis XIV, sa cour et toutes ses flatteries. Très marrant vu de l’extérieur, mais il faut prendre garde que cela ne vous monte pas à la tête. Le succès, plutôt agréable, a une dimension qui vous échappe. D’où l’importance de rester accroché à ses racines, de ne pas tout sacrifier, deux enfants et leur mère, une maison perdue nulle part sur les hauteurs de Huy, pour monter définitivement à Paris.
Les navettes en train ne me dérangent pas du tout. Et puis, j’ai besoin de ce recul sur mes terres pour trouver l’inspiration. Sur un plan humain, il est salvateur de ne pas rester confiné dans le milieu musical. J’adore, par exemple, discuter «le coup» avec mon voisin fermier.
Frank Destrebecq.